... pour une table ronde qui se tiendra la semaine prochaine à l'ENS autour de la question de la relation soignant-soigné, mais aussi de l'annonce diagnostique, de la greffe, du refus de traitement, etc., si l'on en croit l'annonce diffusée sur le site de l'école.
samedi 22 novembre 2014
dimanche 19 octobre 2014
Aux sources du Kalevala
Elias Lönnrot, tu connais ? C'est le médecin de campagne qui, au XIXe, a recueilli les chants et poèmes populaires réunis ensuite dans le Kalevala, l'épopée nationale finlandaise -- dont Dr Béru n'a jamais lu la première ligne, hein.
La vie d'Elias Lönnrot, ou du moins une vision fantasmée de sa vie, tu la trouveras dans une bande dessinée étonnante du Finlandais Ville Ranta. On y découvre un jeune homme perdu dans les contrées de l'Est, responsable de la santé d'un vaste territoire, responsable de ses vieux parents installés dans une ferme reculée, responsable de son frère ivrogne, responsable d'avoir engrossé la femme du procureur, et bien tenté de tout laisser tomber. Il finit par partir sur les routes, sillonne le Savo et la Carélie, collecte les poèmes qui constitueront le Kalevala, avant de revenir à Helsinki.
Ville Ranta choisit un dessin hyper libre au trait, pas de cases, une narration elliptique (on ne verra rien du recueil proprement dit des poèmes, pas une scène de consultation médicale non plus), donnant ainsi un accès direct au flux de pensées de Lönnrot. Les paysages de neige comme les scènes d'été au bord de la rivière servent de contrepoint apaisant au monologue tourmenté, les scènes burlesques (de beuveries, de sauna et de sexe) allègent un récit fortement marqué par la mort. Doutes, dettes, deuils poussent Lönnrot sur les routes, et constituent les véritables sources du Kalevala.
L'Exilé du Kalevala, p. 186, éditions Çà et Là, 2010.
samedi 20 septembre 2014
Boris Razon, nu dans la crevasse
Boris Razon n'est peut-être pas un écrivain -- mais il a une histoire ahurissante à raconter.
En juin 2005, le jeune homme (29 ans à l'époque) entame une terrifiante descente vers les profondeurs du corps : en quelques jours, une polyradiculonévrite foudroyante le laisse entièrement paralysé. Hospitalisé en réanimation neurologique, intubé, sondé, monitoré, il n'est plus rattaché à l'existence que par le tuyau du respirateur. Totalement exposé, vulnérable. Nu dans la crevasse.
Entre les bruits d'alarmes suraigus, les lampes braquées dans les yeux, les MONTREZ-MOI QUE VOUS M'ENTENDEZ MONSIEUR à réveiller un mort, il a tôt fait de perdre le nord. La longue théorie des soignants, tous vêtus du même pyjama bleu, l'entraîne dans une ronde cauchemardesque où le jour et la nuit se dissolvent. Razon bascule dans un monde de légende, un monde de voyages, de batailles épiques et de combats singuliers.
L'état hallucinatoire dont Razon est victime a un nom : le délirium (anciennement "psychose de réanimation"). Il toucherait plus de 80 % des patients de réa. Et d'après ce que Razon en dit, ce n'est pas une partie de plaisir. La douleur, le manque de sommeil, l'angoisse extrêmes précipitent en une agitation hallucinée, où le délire se teinte de persécution. Pour décrire un tel état, il faudrait un styliste d'une autre trempe que Razon : faute de réussir à rendre littérairement cette expérience, Palladium devient parfois aussi ennuyeux qu'un récit de rêve ou qu'une séance de photos de vacances. On écoute poliment, mais on reste étranger. Hors délire, certaines scènes frappent tout de même par l'intensité de leur sujet : le moment où Razon croise son image dans l'ascenseur lors de sa première sortie sans d'abord se reconnaître, par exemple.
Cette expérience d'enfermement halluciné dans un corps inerte méritait d'être racontée, même imparfaitement. Surtout, pour les soignants, Palladium rappelle à propos la torture de l'angoisse absolue, indicible, qui tord les patients de réa. À ce titre, sa lecture n'est pas inutile.
Dr Béru, toujours de bon conseil, te recommande d'écouter avant tout le chef-d'œuvre halluciné de Jean-Louis Murat qui donne son titre à ce billet.
Ajout du 21 mai 2017 : il semblerait que le Guillain Barré soit particulièrement pourvoyeur de ces étranges rêves et déformations du réel (via la dysautonomie et la désorganisation de l'architecture du sommeil dont ce syndrome peut s'accompagner). Une étude de la Pitié-Salpêtrière (où Razon fut pris en charge) va en tout cas dans ce sens.
En juin 2005, le jeune homme (29 ans à l'époque) entame une terrifiante descente vers les profondeurs du corps : en quelques jours, une polyradiculonévrite foudroyante le laisse entièrement paralysé. Hospitalisé en réanimation neurologique, intubé, sondé, monitoré, il n'est plus rattaché à l'existence que par le tuyau du respirateur. Totalement exposé, vulnérable. Nu dans la crevasse.
Entre les bruits d'alarmes suraigus, les lampes braquées dans les yeux, les MONTREZ-MOI QUE VOUS M'ENTENDEZ MONSIEUR à réveiller un mort, il a tôt fait de perdre le nord. La longue théorie des soignants, tous vêtus du même pyjama bleu, l'entraîne dans une ronde cauchemardesque où le jour et la nuit se dissolvent. Razon bascule dans un monde de légende, un monde de voyages, de batailles épiques et de combats singuliers.
L'état hallucinatoire dont Razon est victime a un nom : le délirium (anciennement "psychose de réanimation"). Il toucherait plus de 80 % des patients de réa. Et d'après ce que Razon en dit, ce n'est pas une partie de plaisir. La douleur, le manque de sommeil, l'angoisse extrêmes précipitent en une agitation hallucinée, où le délire se teinte de persécution. Pour décrire un tel état, il faudrait un styliste d'une autre trempe que Razon : faute de réussir à rendre littérairement cette expérience, Palladium devient parfois aussi ennuyeux qu'un récit de rêve ou qu'une séance de photos de vacances. On écoute poliment, mais on reste étranger. Hors délire, certaines scènes frappent tout de même par l'intensité de leur sujet : le moment où Razon croise son image dans l'ascenseur lors de sa première sortie sans d'abord se reconnaître, par exemple.
Cette expérience d'enfermement halluciné dans un corps inerte méritait d'être racontée, même imparfaitement. Surtout, pour les soignants, Palladium rappelle à propos la torture de l'angoisse absolue, indicible, qui tord les patients de réa. À ce titre, sa lecture n'est pas inutile.
Dr Béru, toujours de bon conseil, te recommande d'écouter avant tout le chef-d'œuvre halluciné de Jean-Louis Murat qui donne son titre à ce billet.
Ajout du 21 mai 2017 : il semblerait que le Guillain Barré soit particulièrement pourvoyeur de ces étranges rêves et déformations du réel (via la dysautonomie et la désorganisation de l'architecture du sommeil dont ce syndrome peut s'accompagner). Une étude de la Pitié-Salpêtrière (où Razon fut pris en charge) va en tout cas dans ce sens.
lundi 28 juillet 2014
Du bois dont on fait ce que tu sais
Dans le billet précédent, dr Béru évoquait l'artère sylvienne, l'autre nom de l'artère cérébrale moyenne. Cette curieuse dénomination forestière vient de Jacques Dubois ("Sylvius", en latin), grammairien et médecin du XVIe siècle.
Quelques mots sur ce personnage, qui illustre bien les déchirements de la Renaissance, entre héritage de l'Antiquité et découvertes des nouveaux anatomistes.
Sa double formation de linguiste et de médecin conduit Sylvius à développer considérablement le vocabulaire de la médecine : on lui doit tout un tas de néologismes forgés sur des racines grecques et latines, notamment les termes de mésentère et de poplité. Mais son goût pour les belles lettres l'amène surtout à vouer un culte aux écrits d'Hippocrate et de Galien. Dès lors, Sylvius ne peut approuver les travaux d'anatomie de son élève Vésale, qui remettent en cause les grands anciens. Sylvius se range donc du côté des traditionalistes dans cette querelle des Anciens et des Modernes. C'est à Padoue, et non à Paris, qu'ont alors lieu les grandes explorations anatomiques qui serviront de base aux découvertes physiologiques qui fondent la médecine moderne.
Le nom même de Sylvius l'ancre du côté de la médecine en latin, respectueuse des enseignements de Galien et opposée à toute expérimentation : à l'avenir dr Béru aimerait être moins Sylvius et plus Dubois -- dont on fait tu sais quoi.
Quelques mots sur ce personnage, qui illustre bien les déchirements de la Renaissance, entre héritage de l'Antiquité et découvertes des nouveaux anatomistes.
Sa double formation de linguiste et de médecin conduit Sylvius à développer considérablement le vocabulaire de la médecine : on lui doit tout un tas de néologismes forgés sur des racines grecques et latines, notamment les termes de mésentère et de poplité. Mais son goût pour les belles lettres l'amène surtout à vouer un culte aux écrits d'Hippocrate et de Galien. Dès lors, Sylvius ne peut approuver les travaux d'anatomie de son élève Vésale, qui remettent en cause les grands anciens. Sylvius se range donc du côté des traditionalistes dans cette querelle des Anciens et des Modernes. C'est à Padoue, et non à Paris, qu'ont alors lieu les grandes explorations anatomiques qui serviront de base aux découvertes physiologiques qui fondent la médecine moderne.
Le nom même de Sylvius l'ancre du côté de la médecine en latin, respectueuse des enseignements de Galien et opposée à toute expérimentation : à l'avenir dr Béru aimerait être moins Sylvius et plus Dubois -- dont on fait tu sais quoi.
mercredi 23 juillet 2014
Info trafic : risque d'emboles sur la circulation cérébrale
En cette période de grands départs, intéressons-nous donc aux bouchons.
L'équivalent naturel du tunnel de Fourvière, c'est la terminaison de l'artère carotide interne et le début de l'artère cérébrale moyenne : ça se rétrécit, ça ralentit et ça finit par coincer. Pour peu qu'un embole se balade, c'est l'AVC ischémique sylvien, et les vacances s'annoncent plutôt mal.
Un embole : d'où vient ce drôle de mot, qui est bien masculin et s'écrit avec un e à la fin ? Comme toujours, dr Béru se tourne vers le Trésor de la langue française, qui a réponse à tout : embole vient du grec embolos, le piston d'une pompe. De même qu'un piston s'ajuste exactement au calibre interne de la pompe, de même l'embole obstrue la lumière artérielle.
Pour éviter l'embolie, mieux vaut donc continuer de pomper.
L'équivalent naturel du tunnel de Fourvière, c'est la terminaison de l'artère carotide interne et le début de l'artère cérébrale moyenne : ça se rétrécit, ça ralentit et ça finit par coincer. Pour peu qu'un embole se balade, c'est l'AVC ischémique sylvien, et les vacances s'annoncent plutôt mal.
1. Carotide interne
2. Siphon carotidien
3. Artère cérébrale moyenne
Copyright dr Alami
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Un embole : d'où vient ce drôle de mot, qui est bien masculin et s'écrit avec un e à la fin ? Comme toujours, dr Béru se tourne vers le Trésor de la langue française, qui a réponse à tout : embole vient du grec embolos, le piston d'une pompe. De même qu'un piston s'ajuste exactement au calibre interne de la pompe, de même l'embole obstrue la lumière artérielle.
Pour éviter l'embolie, mieux vaut donc continuer de pomper.
jeudi 10 juillet 2014
Le cerveau a horreur du vide, ou tous romanciers
Une expérience de neuropsychologie menée par Michael Gazzaniga en 1977 et désormais classique ne laisse pas d'intriguer dr Béru.
Voici de quoi il retourne.
Prends un patient callosotomisé* ; projette-lui sur un écran pendant quelques millisecondes, dans la partie gauche de son champ visuel, l'ordre de marcher. Cet ordre sera perçu par les régions visuelles de son hémisphère droit, privé d'accès au langage (les aires consacrées au langage se situent dans l'hémisphère gauche chez la grande majorité des gens) ; le patient sera parfaitement capable d'élaborer un comportement adapté, c'est-à-dire de se lever de sa chaise et de commencer à marcher, mais il ne pourra pas formuler consciemment qu'il est en train d'obéir à un ordre lu sur un écran.
Jusque là, simple démonstration de la spécialisation des hémisphères. Mais là où les choses se corsent, c'est quand Gazzaniga demande à son patient pourquoi il vient de se lever. "J'ai soif, je vais chercher à boire", lui répond du tac au tac le callosotomisé. Voilà l'hémisphère gauche pris en flagrant délit d'interprétation, d'affabulation, de création fictionnelle ! Plutôt que d'avouer notre ignorance du réel qui nous entoure comme du motif de nos actes, nous inventons sans même en avoir conscience des histoires qui accordent le monde à nos perceptions et à nos comportements, et donnent forme et sens à notre existence.
Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir ; nous tous bâtissons des romans à longueur de journée. Cette capacité fictionnelle cimente, unifie notre conscience, lui donne une constance dans le temps ; grâce à elle, la myriade de sensations éprouvées, d'actes perpétrés se précipite en une existence susceptible d'être racontée -- et par là même, réelle.
Dr Béru, qui a bon fond, t'engage instamment à lire Le Nouvel Inconscient, de Lionel Naccache.
* La callosotomie consiste à sectionner le corps calleux, la zone du cerveau qui unit les deux hémisphères ; cette opération se pratique chez certains épileptiques résistants au traitement médicamenteux, afin d'isoler le foyer épileptogène.
Voici de quoi il retourne.
Prends un patient callosotomisé* ; projette-lui sur un écran pendant quelques millisecondes, dans la partie gauche de son champ visuel, l'ordre de marcher. Cet ordre sera perçu par les régions visuelles de son hémisphère droit, privé d'accès au langage (les aires consacrées au langage se situent dans l'hémisphère gauche chez la grande majorité des gens) ; le patient sera parfaitement capable d'élaborer un comportement adapté, c'est-à-dire de se lever de sa chaise et de commencer à marcher, mais il ne pourra pas formuler consciemment qu'il est en train d'obéir à un ordre lu sur un écran.
Jusque là, simple démonstration de la spécialisation des hémisphères. Mais là où les choses se corsent, c'est quand Gazzaniga demande à son patient pourquoi il vient de se lever. "J'ai soif, je vais chercher à boire", lui répond du tac au tac le callosotomisé. Voilà l'hémisphère gauche pris en flagrant délit d'interprétation, d'affabulation, de création fictionnelle ! Plutôt que d'avouer notre ignorance du réel qui nous entoure comme du motif de nos actes, nous inventons sans même en avoir conscience des histoires qui accordent le monde à nos perceptions et à nos comportements, et donnent forme et sens à notre existence.
Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir ; nous tous bâtissons des romans à longueur de journée. Cette capacité fictionnelle cimente, unifie notre conscience, lui donne une constance dans le temps ; grâce à elle, la myriade de sensations éprouvées, d'actes perpétrés se précipite en une existence susceptible d'être racontée -- et par là même, réelle.
Dr Béru, qui a bon fond, t'engage instamment à lire Le Nouvel Inconscient, de Lionel Naccache.
* La callosotomie consiste à sectionner le corps calleux, la zone du cerveau qui unit les deux hémisphères ; cette opération se pratique chez certains épileptiques résistants au traitement médicamenteux, afin d'isoler le foyer épileptogène.
samedi 28 juin 2014
Paradoxe sur le médecin
Allô ? Voix chaleureuse. Mais non, vous ne me dérangez pas du tout... Oui, je comprends très bien... C'est normal au début... C'est une très bonne chose que vous m'en parliez... Vous avez beaucoup de courage... On se voit mercredi... N'hésitez pas à m'appeler pour me tenir au courant d'ici là... Raccroche. Voix normale. Oh putain*.
Ah, le fieffé hypocrite ! serait-on tenté de penser. Hypocrite peut-être, mais au sens étymologique, celui d'acteur. Or le seul acteur qui vaille, si l'on en croit Diderot et son Paradoxe sur le comédien, n'est-ce pas l'acteur de tête, par opposition à l'acteur de sensibilité ? Le premier sait jouer tous les caractères, imiter toutes les émotions, avec constance et régularité. Le second, s'il est en phase avec son rôle, s'il ressent intensément les sentiments qu'il doit représenter sur scène, pourra peut-être être sublime. Mais il le sera bien involontairement, et par l'effet d'un heureux hasard.
Le médecin, tout comme l'acteur, n'est pas censé vivre son rôle, mais le jouer. Imagine un médecin qui ait besoin de ressentir de la compassion pour en faire preuve : non seulement il serait lessivé bien avant la fin de la matinée, mais il y a fort à parier qu'il traiterait différemment ses patients. Entre une charmante jeune femme éduquée, manifestement élevée dans le même milieu que toi, et une vieille clocharde qui pue et qui t'insulte, pour qui est-il plus facile de ressentir de la compassion, à ton avis ? Si tu n'éprouves rien pour personne mais que tu t'intéresses à chacun et fais systématiquement montre de sentiments compassionnels, là tu as une chance de garantir l'égalité des soins.
Voilà pourquoi il faudrait s'appliquer à regarder, à reconnaître et à imiter, comme dit Diderot, mais non pas à sentir. Ce qui est plus facile à dire qu'à faire.
*Authentique conversation entendue à l'AP-HP, aimablement rapportée par l'unique lectrice de ces pages -- unique lectrice à ne pas être rémunérée par les services spéciaux moldaves, s'entend.
Ah, le fieffé hypocrite ! serait-on tenté de penser. Hypocrite peut-être, mais au sens étymologique, celui d'acteur. Or le seul acteur qui vaille, si l'on en croit Diderot et son Paradoxe sur le comédien, n'est-ce pas l'acteur de tête, par opposition à l'acteur de sensibilité ? Le premier sait jouer tous les caractères, imiter toutes les émotions, avec constance et régularité. Le second, s'il est en phase avec son rôle, s'il ressent intensément les sentiments qu'il doit représenter sur scène, pourra peut-être être sublime. Mais il le sera bien involontairement, et par l'effet d'un heureux hasard.
Le médecin, tout comme l'acteur, n'est pas censé vivre son rôle, mais le jouer. Imagine un médecin qui ait besoin de ressentir de la compassion pour en faire preuve : non seulement il serait lessivé bien avant la fin de la matinée, mais il y a fort à parier qu'il traiterait différemment ses patients. Entre une charmante jeune femme éduquée, manifestement élevée dans le même milieu que toi, et une vieille clocharde qui pue et qui t'insulte, pour qui est-il plus facile de ressentir de la compassion, à ton avis ? Si tu n'éprouves rien pour personne mais que tu t'intéresses à chacun et fais systématiquement montre de sentiments compassionnels, là tu as une chance de garantir l'égalité des soins.
Voilà pourquoi il faudrait s'appliquer à regarder, à reconnaître et à imiter, comme dit Diderot, mais non pas à sentir. Ce qui est plus facile à dire qu'à faire.
*Authentique conversation entendue à l'AP-HP, aimablement rapportée par l'unique lectrice de ces pages -- unique lectrice à ne pas être rémunérée par les services spéciaux moldaves, s'entend.
mercredi 11 juin 2014
La réponse qui sauve à la question qui tue
Pourquoi as-tu décidé de commencer des études de médecine ? demande-t-on régulièrement au Dr Béru (le "à ton âge avancé" est obligeamment sous-entendu). Peut-être bien que Dr Béru n'en a foutrement aucune idée. Mais ce n'est pas là la réponse souhaitée par les internes / CCA / PH qui posent la question qui tue. Ce qu'ils veulent entendre, tous autant qu'ils sont, c'est qu'ils exercent le plus beau métier du monde, qu'ils sont du bon côté, qu'ils ont fait le bon choix ; ce qu'ils attendent, c'est la validation de leur existence par un regard extérieur.
Alors Dr Béru s'exécute. Il sort le grand jeu, c'est-à-dire L'Hôpital, à la vie à la mort, un livre d'aquarelles et de témoignages de Noëlle Herrenschmidt publié chez Gallimard en 2003.
Noëlle Herrenschmidt, tu la connais : c'est elle qui illustrait les "David et Marion" des Belles histoires de ta prime jeunesse. Elle qui couvrait les grands procès pour Le Monde, elle encore qui a publié des carnets de prison. Au début des années 2000, la reporter-illustratrice a passé du temps dans les hôpitaux de l'AP-HP, à la rencontre des patients et des travailleurs, soignants ou non. Elle a donné la parole à chacun, et un visage aussi : chaque témoignage, livré brut, est accompagné d'un portait à l'aquarelle, le plus souvent en action. Les chirurgiens bricolent, les IBODE fourbissent leurs armes, les cadres infirmiers font la loi, les aides-soignants poussent interminablement des chariots surchargés. Les patients patientent.
Ce qui frappe dans cet ouvrage, c'est le passage du temps, inscrit dans les décors (certains sites sont ultra vétustes, d'autres ultra modernes ; on visite Laënnec, fermé depuis), dans les changements de la pratique quotidienne (de nombreux salariés se plaignent d'une dégradation des conditions de travail par rapport à leurs débuts dans la profession), dans la répétition des journées pour les patients hospitalisés. Parties de cartes chez les adolescents, mots fléchés et télé pour les vieux. Le temps, surtout, se lit dans la structure de l'ouvrage, organisé selon les âges de la vie. On progresse ainsi de la réa néonatale jusqu'à la toilette des morts, en passant par la chir cardiaque pédiatrique, la nutrition pour adolescents, les soins de suite, la gériatrie : voyage dans l'AP-HP, voyage dans une existence.
De là à confondre l'hôpital et la vie, il n'y avait qu'un pas que Dr Béru a étourdiment franchi. Le voilà bloqué de l'autre côté du miroir. L'hôpital, à la vie à la mort : la réponse qui sauve à la question qui tue, peut-être.
Alors Dr Béru s'exécute. Il sort le grand jeu, c'est-à-dire L'Hôpital, à la vie à la mort, un livre d'aquarelles et de témoignages de Noëlle Herrenschmidt publié chez Gallimard en 2003.
Noëlle Herrenschmidt, tu la connais : c'est elle qui illustrait les "David et Marion" des Belles histoires de ta prime jeunesse. Elle qui couvrait les grands procès pour Le Monde, elle encore qui a publié des carnets de prison. Au début des années 2000, la reporter-illustratrice a passé du temps dans les hôpitaux de l'AP-HP, à la rencontre des patients et des travailleurs, soignants ou non. Elle a donné la parole à chacun, et un visage aussi : chaque témoignage, livré brut, est accompagné d'un portait à l'aquarelle, le plus souvent en action. Les chirurgiens bricolent, les IBODE fourbissent leurs armes, les cadres infirmiers font la loi, les aides-soignants poussent interminablement des chariots surchargés. Les patients patientent.
Ce qui frappe dans cet ouvrage, c'est le passage du temps, inscrit dans les décors (certains sites sont ultra vétustes, d'autres ultra modernes ; on visite Laënnec, fermé depuis), dans les changements de la pratique quotidienne (de nombreux salariés se plaignent d'une dégradation des conditions de travail par rapport à leurs débuts dans la profession), dans la répétition des journées pour les patients hospitalisés. Parties de cartes chez les adolescents, mots fléchés et télé pour les vieux. Le temps, surtout, se lit dans la structure de l'ouvrage, organisé selon les âges de la vie. On progresse ainsi de la réa néonatale jusqu'à la toilette des morts, en passant par la chir cardiaque pédiatrique, la nutrition pour adolescents, les soins de suite, la gériatrie : voyage dans l'AP-HP, voyage dans une existence.
De là à confondre l'hôpital et la vie, il n'y avait qu'un pas que Dr Béru a étourdiment franchi. Le voilà bloqué de l'autre côté du miroir. L'hôpital, à la vie à la mort : la réponse qui sauve à la question qui tue, peut-être.
lundi 2 juin 2014
Finie la polémique sur le genre !
Aujourd'hui, Dr Béru décide de rétablir l'ordre naturel en mettant un terme définitif à la confusion des genres ; halte à la permissivité, au laisser-aller, à la chienlit linguistique !
S'il est bien une question sur laquelle Dr Béru ne transige pas, c'est celle du genre des noms. Les noms en -icule, en particulier.
Pannicule, vésicule*, fébricule, pellicule, pédicule... Tous ont en commun d'être... Masculins ? Féminins ? Non. C'est un poil plus compliqué, mais pas beaucoup. Le suffixe diminutif -icule était déjà utilisé en latin : -icula pour les noms féminins, -iculus pour les masculins, -iculum au neutre. Facile de repérer le genre. Mais en français, avec l'accent tonique placé sur l'avant-dernière syllabe (sur le cul, donc), la dernière syllabe a été avalée, devenant indifférenciée. Pour retrouver le genre du nom en -icule qui te tracasse, Dr Béru te donne un truc : passe par le genre du mot d'origine. Vessie est féminin, vésicule est féminin aussi. Pied est masculin, pédicule aussi. Peau est féminin, pellicule aussi. Pan est masculin, pannicule aussi. Fièvre, féminin...
Bref, c'est aujourd'hui que tu cesses définitivement de dire "un fébricule".
* En ces temps de fête des paires, faites plaisir avec un bouquet de vésicules !
S'il est bien une question sur laquelle Dr Béru ne transige pas, c'est celle du genre des noms. Les noms en -icule, en particulier.
Pannicule, vésicule*, fébricule, pellicule, pédicule... Tous ont en commun d'être... Masculins ? Féminins ? Non. C'est un poil plus compliqué, mais pas beaucoup. Le suffixe diminutif -icule était déjà utilisé en latin : -icula pour les noms féminins, -iculus pour les masculins, -iculum au neutre. Facile de repérer le genre. Mais en français, avec l'accent tonique placé sur l'avant-dernière syllabe (sur le cul, donc), la dernière syllabe a été avalée, devenant indifférenciée. Pour retrouver le genre du nom en -icule qui te tracasse, Dr Béru te donne un truc : passe par le genre du mot d'origine. Vessie est féminin, vésicule est féminin aussi. Pied est masculin, pédicule aussi. Peau est féminin, pellicule aussi. Pan est masculin, pannicule aussi. Fièvre, féminin...
Bref, c'est aujourd'hui que tu cesses définitivement de dire "un fébricule".
* En ces temps de fête des paires, faites plaisir avec un bouquet de vésicules !
jeudi 29 mai 2014
De la mort sans exagérer, ou la poésie réanimatoire
Dans un service de réanimation, on ressuscite les corps, on réinsuffle la vie, on réveille les morts, pas vrai ?
Ou on regarde les hommes tomber.
Soit une hypertension intracrânienne maligne ne répondant plus aux traitements, un cerveau flingué, des réflexes qui s'éteignent petit à petit, la tension qui s'effondre d'un coup, la fixité de la mydriase bilatérale, la diurèse massive, les organes qu'il faut s'efforcer de préserver (regarde dans son portefeuille si tu trouves une carte de donneur), la poitrine qui se soulève toujours, le bruit du respirateur dans la chambre, les mains à plat sur le drap bleu, les ongles faits, prévenir la famille, regardez ses pupilles, les jeunes, mais n'abîmez pas les cornées.
La mort qui gagne un corps, lentement, sûrement.
Dans ces cas-là, Dr Béru emmerde la philosophie, la religion et les cours d'éthique gracieusement dispensés par la Faculté. Dr Béru laisse à la poésie le soin de tout réparer, tout ressusciter.
De la mort sans exagérer : c'est le titre d'un poème de Wislawa Szymborska, la vénérable Polonaise nobélisée. Ça dit, à la fin, qu'
Il n'est point de vie qui,
même un court instant,
ne soit immortelle.
La mort
est toujours en retard de cet instant précis.
En vain agite-t-elle la poignée
de la porte invisible.
Le peu que nous ayons pu
demeure irréversible.
Irréversible, t'entends ?
dimanche 25 mai 2014
Anatomie potagère à l'usage des P1
Quand il s'est agi de nommer les parties du corps humain, les anatomistes se sont souvent fondés sur l'analogie de forme avec des objets du quotidien. En particulier, ils ont pas mal tapé dans le lexique agricole.
Quelques exemples :
- l'os du carpe semblable à un petit pois se nomme pisiforme (du latin pisum, le pois) ;
- le muscle pelvi-trochanterien dont le corps est renflé comme une poire se nomme piriforme (du latin pirum, la poire) ;
- l'os sésamoïde ("en forme de grain de sésame") inconstamment situé en arrière des condyles fémoraux se nomme fabella, c'est-à-dire la petite fève, en latin ;
- l'os du crâne constituant la partie postérieure de la cloison nasale se nomme vomer pour sa forme de soc de charrue (soc se disant vomer en latin, tu l'auras deviné) ;
- le raisin (uva, en latin) a donné son nom à l'uvée, la tunique intermédiaire de l'œil (pèle un gros grain de raisin, pour te donner une idée), mais aussi à l'uvule, l'autre nom de la luette, qui ressemble plutôt à un raisin sec ;
- on passe au grec, maintenant : amygdale signifie amande, donc qu'on soit dans la gorge ou dans le cerveau, cherche une formation plus ou moins ovale ;
- attention, un piège ! carotide n'a aucun rapport avec la carotte (interdit de mettre deux t à carotide, soit dit en passant), mais vient du grec karos, le sommeil profond. Appuie-toi un peu sur les sinus carotides, pour voir...
La prochaine fois qu'un orthopédiste tente de te prendre en défaut sur piriforme/pisiforme, tu lui ris au nez et tu écrases une larme de reconnaissance pour le bon Dr Béru, d'accord ?
Quelques exemples :
- l'os du carpe semblable à un petit pois se nomme pisiforme (du latin pisum, le pois) ;
- le muscle pelvi-trochanterien dont le corps est renflé comme une poire se nomme piriforme (du latin pirum, la poire) ;
- l'os sésamoïde ("en forme de grain de sésame") inconstamment situé en arrière des condyles fémoraux se nomme fabella, c'est-à-dire la petite fève, en latin ;
- l'os du crâne constituant la partie postérieure de la cloison nasale se nomme vomer pour sa forme de soc de charrue (soc se disant vomer en latin, tu l'auras deviné) ;
- le raisin (uva, en latin) a donné son nom à l'uvée, la tunique intermédiaire de l'œil (pèle un gros grain de raisin, pour te donner une idée), mais aussi à l'uvule, l'autre nom de la luette, qui ressemble plutôt à un raisin sec ;
- on passe au grec, maintenant : amygdale signifie amande, donc qu'on soit dans la gorge ou dans le cerveau, cherche une formation plus ou moins ovale ;
- attention, un piège ! carotide n'a aucun rapport avec la carotte (interdit de mettre deux t à carotide, soit dit en passant), mais vient du grec karos, le sommeil profond. Appuie-toi un peu sur les sinus carotides, pour voir...
La prochaine fois qu'un orthopédiste tente de te prendre en défaut sur piriforme/pisiforme, tu lui ris au nez et tu écrases une larme de reconnaissance pour le bon Dr Béru, d'accord ?
jeudi 8 mai 2014
Les carnets d'un jeune médecin : roman d'apprentissage, autobiographie et "case report"
Les déserts médicaux, Boulgakov connaît. Lorsqu'il termine ses études de médecine à la faculté de Kiev, en 1916 (il a alors 25 ans), il est affecté à l'hôpital rural de Nikolskoïé, seul médecin pour prendre en charge les accidents de travail, les accouchements, les maladies vénériennes et autres diphtéries infantiles de cette région agricole. De cette année à Nikolskoïé, Boulgakov tire une série de brefs récits publiés en 1925-1926 dans l'organe du Syndicat de la santé publique, noblement baptisé Meditsinski rabotnik, ou "Le travailleur médical"*. Réunis sous le titre de Carnets d'un jeune médecin, ils forment un ensemble curieux tenant du recueil de cas cliniques, du roman d'apprentissage et de l'autobiographie sublimée.
Ces trois aspects illustrent la richesse du matériau médical en littérature : le cas clinique fournit à lui seul le point de départ du récit, en se posant comme un problème technique à résoudre (arrive une enfant diphtérique ; il s'agit de la trachéotomiser ; le jeune médecin parviendra-t-il à réaliser ce geste qu'il s'est contenté de voir dans un amphi ?) ou une énigme diagnostique à percer (quelle est donc la boule jaunâtre qui a pris la place de l'œil de ce bébé ?).
Mais très vite, c'est moins l'anecdote médicale que l'évolution du jeune médecin qui occupe le cœur du récit. Loin de la faculté, loin du chemin de fer, le jeune homme ne peut compter que sur lui-même pour faire face à la peur, à l'erreur, à la maladie (et aux patients aussi). C'est dans ce face-à-face que se construit peu à peu son personnage de médecin compétent (la trachéotomie réussie), mais aussi démuni (son combat perdu contre la syphilis, cette éruption étoilée qui laisse de marbre les paysans qui en sont atteints) voire désemparé (l'œil volatilisé). Ici, l'apprentissage est loin d'être linéaire : c'est dans le dernier récit, après "deux cents hospitalisations, dont seulement six décès", avec "l'expérience énorme désormais acquise" que le médecin avoue son impuissance et son incompréhension face au bébé privé d'œil gauche. "Autrement dit, il faut humblement apprendre", conclut Boulgakov. L'exercice de la médecine est, constitutivement, un long roman d'apprentissage.
Un troisième aspect fait de ce recueil une véritable œuvre littéraire : la reconstruction a posteriori de la légende du jeune médecin-pionnier. Car si le matériau de départ est clairement autobiographique (Boulgakov fraîchement diplômé a effectivement été nommé dans un hôpital de campagne), le jeune médecin est un personnage recréé pour incarner une figure solitaire, dévouée, exilée dans une campagne bien plus isolée que celle de Nikolskoïé. Le médecin se mue en aventurier solitaire, en Robinson, voire en héros de Fenimore Cooper (cité dans "L'œil volatilisé") pour prendre les dimensions d'un missionnaire portant dans les campagnes la lumière de la science médicale. Bref, Boulgakov écrit ici la légende de saint Mikhaïl l'hospitalier.
Dr Béru, qui aspire lui aussi à la sainteté, est à deux doigts de souhaiter que les jeunes médecins soient dorénavant tous envoyés à trente verstes des voies ferrées.
* Dr Béru tire ces informations de la notice de l'édition de la "Bibliothèque de la Pléiade", rédigée par Jean-Louis Chavarot.
Ces trois aspects illustrent la richesse du matériau médical en littérature : le cas clinique fournit à lui seul le point de départ du récit, en se posant comme un problème technique à résoudre (arrive une enfant diphtérique ; il s'agit de la trachéotomiser ; le jeune médecin parviendra-t-il à réaliser ce geste qu'il s'est contenté de voir dans un amphi ?) ou une énigme diagnostique à percer (quelle est donc la boule jaunâtre qui a pris la place de l'œil de ce bébé ?).
Mais très vite, c'est moins l'anecdote médicale que l'évolution du jeune médecin qui occupe le cœur du récit. Loin de la faculté, loin du chemin de fer, le jeune homme ne peut compter que sur lui-même pour faire face à la peur, à l'erreur, à la maladie (et aux patients aussi). C'est dans ce face-à-face que se construit peu à peu son personnage de médecin compétent (la trachéotomie réussie), mais aussi démuni (son combat perdu contre la syphilis, cette éruption étoilée qui laisse de marbre les paysans qui en sont atteints) voire désemparé (l'œil volatilisé). Ici, l'apprentissage est loin d'être linéaire : c'est dans le dernier récit, après "deux cents hospitalisations, dont seulement six décès", avec "l'expérience énorme désormais acquise" que le médecin avoue son impuissance et son incompréhension face au bébé privé d'œil gauche. "Autrement dit, il faut humblement apprendre", conclut Boulgakov. L'exercice de la médecine est, constitutivement, un long roman d'apprentissage.
Un troisième aspect fait de ce recueil une véritable œuvre littéraire : la reconstruction a posteriori de la légende du jeune médecin-pionnier. Car si le matériau de départ est clairement autobiographique (Boulgakov fraîchement diplômé a effectivement été nommé dans un hôpital de campagne), le jeune médecin est un personnage recréé pour incarner une figure solitaire, dévouée, exilée dans une campagne bien plus isolée que celle de Nikolskoïé. Le médecin se mue en aventurier solitaire, en Robinson, voire en héros de Fenimore Cooper (cité dans "L'œil volatilisé") pour prendre les dimensions d'un missionnaire portant dans les campagnes la lumière de la science médicale. Bref, Boulgakov écrit ici la légende de saint Mikhaïl l'hospitalier.
Dr Béru, qui aspire lui aussi à la sainteté, est à deux doigts de souhaiter que les jeunes médecins soient dorénavant tous envoyés à trente verstes des voies ferrées.
* Dr Béru tire ces informations de la notice de l'édition de la "Bibliothèque de la Pléiade", rédigée par Jean-Louis Chavarot.
vendredi 25 avril 2014
Enterrer les morts, réparer les vivants, écrire une histoire
Maylis de Kerangal est vraiment un écrivain. Elle sait voir, elle sait sentir, elle sait restituer, et même si son style est parfois travaillé en pleine pâte, il fait tinter chez Dr Béru la cloche du réel.
Quant à savoir si elle est une vraie raconteuse d'histoires, c'est une autre paire de manches.
Dans Corniche Kennedy, Marseille et l'adolescence sonnaient vrai. Mais le réseau de prostitution de l'Est sentait à 20 km l'histoire fabriquée de toutes pièces, ajoutée pour étoffer le récit et lui donner, bien artificiellement, la consistance d'un roman.
Dr Béru croit pour sa part que Maylis de Kerangal est bien consciente du problème, et qu'elle a décidé d'y remédier en s'attaquant à des sujets porteurs en eux-mêmes d'une histoire. La construction d'un pont, d'abord, avec son début, son milieu, sa fin. Pas mal, déjà, pour structurer un récit.
Mais c'est avec Réparer les vivants qu'elle a trouvé le sujet de récit par excellence. La greffe contient en effet la mort, le deuil, la maladie, le corps, la technique, la renaissance, le don -- le tout ramassé dans un temps bref, selon un ordre défini par un protocole médical préétabli. Bref, une trame déjà donnée sur laquelle elle n'a plus eu qu'à tisser, en s'appuyant sur un travail d'enquête et d'observation méticuleux. Et Réparer les vivants est une réussite totale*.
L'hôpital comme réservoir d'histoires vraies, de vraies histoires : c'est dans ce trou noir ou lumineux que vit la vie, rêve la vie, souffre la vie, comme dirait l'autre.
Dr Béru, qui a bon fond, t'engage à te prononcer clairement en faveur du don d'organes. Parce que bien lavé, ça peut resservir !
*Dr Béru est tout de même un peu chiffonné par Cordelia, l'infirmière de réa (qui se transforme d'ailleurs subitement en IBODE au cours du récit). Le personnage semble fabriqué pour représenter une idée, incarner un thème (en l'occurrence, le corps sexualisé, le corps présent ici et maintenant), et sonne moins vrai. Une dissonance minime dans ce chœur qui, encore une fois, a les accents du réel.
Quant à savoir si elle est une vraie raconteuse d'histoires, c'est une autre paire de manches.
Dans Corniche Kennedy, Marseille et l'adolescence sonnaient vrai. Mais le réseau de prostitution de l'Est sentait à 20 km l'histoire fabriquée de toutes pièces, ajoutée pour étoffer le récit et lui donner, bien artificiellement, la consistance d'un roman.
Dr Béru croit pour sa part que Maylis de Kerangal est bien consciente du problème, et qu'elle a décidé d'y remédier en s'attaquant à des sujets porteurs en eux-mêmes d'une histoire. La construction d'un pont, d'abord, avec son début, son milieu, sa fin. Pas mal, déjà, pour structurer un récit.
Mais c'est avec Réparer les vivants qu'elle a trouvé le sujet de récit par excellence. La greffe contient en effet la mort, le deuil, la maladie, le corps, la technique, la renaissance, le don -- le tout ramassé dans un temps bref, selon un ordre défini par un protocole médical préétabli. Bref, une trame déjà donnée sur laquelle elle n'a plus eu qu'à tisser, en s'appuyant sur un travail d'enquête et d'observation méticuleux. Et Réparer les vivants est une réussite totale*.
L'hôpital comme réservoir d'histoires vraies, de vraies histoires : c'est dans ce trou noir ou lumineux que vit la vie, rêve la vie, souffre la vie, comme dirait l'autre.
Dr Béru, qui a bon fond, t'engage à te prononcer clairement en faveur du don d'organes. Parce que bien lavé, ça peut resservir !
*Dr Béru est tout de même un peu chiffonné par Cordelia, l'infirmière de réa (qui se transforme d'ailleurs subitement en IBODE au cours du récit). Le personnage semble fabriqué pour représenter une idée, incarner un thème (en l'occurrence, le corps sexualisé, le corps présent ici et maintenant), et sonne moins vrai. Une dissonance minime dans ce chœur qui, encore une fois, a les accents du réel.
samedi 12 avril 2014
Clysterium donare, postea seignare, ensuitta purgare, ou la vérité sur le latin médical
Quand Dr Béru subit le feu roulant des questions d'un farouche examinateur gastro-entérologue de son état, ce ne sont hélas pas les dernières recommandations de la HAS qui lui reviennent, mais la fin du Malade imaginaire. "Clysterium donare, postea seignare, ensuitta purgare", répond invariablement Argan aux questions des docteurs qui s'apprêtent à l'introniser médecin*.
Molière ne cesse de moquer cette manie des médecins de fourrer du latin partout : du "lucindus, lucinda, lucindum" du Médecin malgré lui au "ignorantus, ignoranta, ignorantum" de Toinette dans Le Malade imaginaire, une petite déclinaison de derrière les fagots suffit pour asseoir sa qualité de médecin. Argan, à qui l'on vient de suggérer de se faire lui-même médecin, objecte faiblement : "Mais il faut bien parler latin, connaître les maladies, et les remèdes qu'il y faut faire." Baragouiner un galimatias latinoïde suffira, lui répondent fort justement son frère et sa servante.
Ce qui était vrai au xviie l'est encore aujourd'hui : on prescrit larga manu des médicaments à prendre per os, on se casse la fibula et l'acetabulum, on redoute un volvulus, un infarctus ou un ictus... Curieusement, Dr Béru a l'impression que ce latin-là vient parfois de l'anglais (c'est net pour fibula et acetabulum, qui remplacent péroné et cotyle dans la nouvelle nomenclature anatomique tout droit importée des pays anglo-saxons). L'anglais est d'ailleurs en passe de détrôner le latin : on guette le wash out des nodules hépatiques, on recherche du sludge dans la vésicule biliaire et on s'inquiète d'un crazy paving sur un scan thoracique.
Survivance d'un temps où la médecine était enseignée en latin ? Influence des articles anglophones que l'on ne se donne plus la peine de traduire ? Désir de gagner du temps en évitant les périphrases françaises (le latin et l'anglais sont effectivement des langues plus resserrées) ? Sans doute. Mais Dr Béru craint qu'il s'agisse avant tout, comme au temps de Molière, d'employer le jargon le plus obscur pour garder la haute main sur le patient. Bref, le latin et l'anglais comme instruments de domination.
Dr Béru, qui a bon fond, te conseille un petit recueil de chroniques d'Omicron, alias Loïc Capron, consacrées au lexique de la médecine. Ça s'appelle Mots et maux, et c'est publié aux éditions Jean-Baptiste Baillière.
* Trois principes thérapeutiques toujours en vigueur, soit dit en passant : les lavements de laxatifs osmotiques s'administrent en cas d'encéphalopathie hépatique, on soigne l'hémochromatose à grands coups de saignées, et une bonne purge reste indispensable avant toute coloscopie.
Molière ne cesse de moquer cette manie des médecins de fourrer du latin partout : du "lucindus, lucinda, lucindum" du Médecin malgré lui au "ignorantus, ignoranta, ignorantum" de Toinette dans Le Malade imaginaire, une petite déclinaison de derrière les fagots suffit pour asseoir sa qualité de médecin. Argan, à qui l'on vient de suggérer de se faire lui-même médecin, objecte faiblement : "Mais il faut bien parler latin, connaître les maladies, et les remèdes qu'il y faut faire." Baragouiner un galimatias latinoïde suffira, lui répondent fort justement son frère et sa servante.
Ce qui était vrai au xviie l'est encore aujourd'hui : on prescrit larga manu des médicaments à prendre per os, on se casse la fibula et l'acetabulum, on redoute un volvulus, un infarctus ou un ictus... Curieusement, Dr Béru a l'impression que ce latin-là vient parfois de l'anglais (c'est net pour fibula et acetabulum, qui remplacent péroné et cotyle dans la nouvelle nomenclature anatomique tout droit importée des pays anglo-saxons). L'anglais est d'ailleurs en passe de détrôner le latin : on guette le wash out des nodules hépatiques, on recherche du sludge dans la vésicule biliaire et on s'inquiète d'un crazy paving sur un scan thoracique.
Survivance d'un temps où la médecine était enseignée en latin ? Influence des articles anglophones que l'on ne se donne plus la peine de traduire ? Désir de gagner du temps en évitant les périphrases françaises (le latin et l'anglais sont effectivement des langues plus resserrées) ? Sans doute. Mais Dr Béru craint qu'il s'agisse avant tout, comme au temps de Molière, d'employer le jargon le plus obscur pour garder la haute main sur le patient. Bref, le latin et l'anglais comme instruments de domination.
Dr Béru, qui a bon fond, te conseille un petit recueil de chroniques d'Omicron, alias Loïc Capron, consacrées au lexique de la médecine. Ça s'appelle Mots et maux, et c'est publié aux éditions Jean-Baptiste Baillière.
* Trois principes thérapeutiques toujours en vigueur, soit dit en passant : les lavements de laxatifs osmotiques s'administrent en cas d'encéphalopathie hépatique, on soigne l'hémochromatose à grands coups de saignées, et une bonne purge reste indispensable avant toute coloscopie.
vendredi 4 avril 2014
Une dernière pour la route
Ça tombe dru, en ce moment. Et que faire, au petit matin ? Signer le certificat de décès et autoriser la mise en bière. Idéal après une cirrhose alcoolique ou un cancer épidermoïde de l'œsophage.
Bon, d'où ça vient, ce drôle de mot ? Le Trésor de la langue française nous renseigne sur ce point : la bière, c'est la planche qui sert de civière pour transporter les corps, à l'origine. De là, on passe à la caisse de bois qui sert de cercueil pour les pauvres (par opposition au sarcophage, dernière demeure de l'opulence). Le terme viendrait de l'ancien bas francique, rien à voir avec la bière au houblon (terme germanique).
Bref, une dernière bière. Ils en auront bien besoin, la route promet d'être longue.
Bon, d'où ça vient, ce drôle de mot ? Le Trésor de la langue française nous renseigne sur ce point : la bière, c'est la planche qui sert de civière pour transporter les corps, à l'origine. De là, on passe à la caisse de bois qui sert de cercueil pour les pauvres (par opposition au sarcophage, dernière demeure de l'opulence). Le terme viendrait de l'ancien bas francique, rien à voir avec la bière au houblon (terme germanique).
Bref, une dernière bière. Ils en auront bien besoin, la route promet d'être longue.
jeudi 3 avril 2014
L'Endoscope dans l'Orifice, ou l'e dans l'o sans peine
Un peu de phonétique, aujourd'hui.
Dr Béru, vous le connaissez. Prononcer correctement l'e dans l'o, il sait – à savoir [e] en alphabet phonétique international, "é" plus prosaïquement.
Œsophage, œdème et leurs dérivés œsophagite, endoscopie œso-gastro-duodénale, reflux gastro-œsophagien, décompensation œdémato-ascitique... Tous proviennent de termes grecs commençant par omicron-iota, combinaison qui évolue normalement en "é" dans les langues latines (comme dans écologie ou économie, par exemple).
Pourquoi, alors, entend-on systématiquement prononcer "eusophage" et "eudème" ? Dr Béru présente ici une audacieuse hypothèse : c'est la contamination de l'œil. Une contamination phonétique, s'entend. En effet, d'œil se prononçant "euil" à œ = eu, le pas est vite franchi. Mais œil est une aberration orthographique, où l'e dans l'o n'est là que pour la frime. Œil vient de la déformation populaire du latin oculus, selon des lois de la phonétique bien éloignées de celles qui président à la dérivation savante du grec oisophagos en œsophage.
Voilà qui ne résout pas le dilemme du Dr Béru : dire comme tout le monde et offenser la phonétique, ou passer pour un Diafoirus doublé d'un Trissotin ? Y a des jours, Dr Béru contribue activement à saper la langue de Molière. Si papa l'entendait !
Dr Béru, qui a bon fond, en profite pour te recommander Si maman me voyait !, un excellent San-Antonio.
Comment prononcer l'e dans l'o ? C'est la question qui taraude Dr Béru depuis son passage en hépato-gastro-entérologie.
Dr Béru, vous le connaissez. Prononcer correctement l'e dans l'o, il sait – à savoir [e] en alphabet phonétique international, "é" plus prosaïquement.
Œsophage, œdème et leurs dérivés œsophagite, endoscopie œso-gastro-duodénale, reflux gastro-œsophagien, décompensation œdémato-ascitique... Tous proviennent de termes grecs commençant par omicron-iota, combinaison qui évolue normalement en "é" dans les langues latines (comme dans écologie ou économie, par exemple).
Pourquoi, alors, entend-on systématiquement prononcer "eusophage" et "eudème" ? Dr Béru présente ici une audacieuse hypothèse : c'est la contamination de l'œil. Une contamination phonétique, s'entend. En effet, d'œil se prononçant "euil" à œ = eu, le pas est vite franchi. Mais œil est une aberration orthographique, où l'e dans l'o n'est là que pour la frime. Œil vient de la déformation populaire du latin oculus, selon des lois de la phonétique bien éloignées de celles qui président à la dérivation savante du grec oisophagos en œsophage.
Voilà qui ne résout pas le dilemme du Dr Béru : dire comme tout le monde et offenser la phonétique, ou passer pour un Diafoirus doublé d'un Trissotin ? Y a des jours, Dr Béru contribue activement à saper la langue de Molière. Si papa l'entendait !
Dr Béru, qui a bon fond, en profite pour te recommander Si maman me voyait !, un excellent San-Antonio.
l'APHP ne lésine pas sur la qualité des blouses
mercredi 2 avril 2014
Le peintre de la vie moderne, ou Baudelaire sémiologue
Pour clore cette série consacrée à Baudelaire sémiologue, Dr Béru s'autorise une brève réflexion.
Qu'est-ce que le peintre de la vie moderne ? Le flâneur qui se mêle au mouvement de la cité, l'observateur, l'homme des foules ; celui dont la perception aiguë lui permet de saisir dans la ville l'aliment de sa propre création. Celui qui saura ensuite, le soir, à la lumière de la lampe électrique, recomposer le réel en une œuvre d'art.
Ce double mouvement d'observation puis de mise en forme, c'est aussi celui du clinicien. L'examen clinique repose avant tout sur l'acuité de la perception du médecin. C'est particulièrement vrai en neurologie, où les signes cliniques sont à la fois nombreux, variés et subtils : mouvements (chorée, ballisme ou athétose ?), muscles (myokymies ou fasciculations ?), démarche... L'œil prime. Il s'agira ensuite de réunir les signes relevés à l'examen, c'est-à-dire les symptômes physiques, en syndrome. Et comme la réalité colle rarement parfaitement au collège des enseignants de neurologie, va falloir faire preuve d'un minimum de créativité à ce moment-là. Voilà pourquoi Dr Béru se prenait pour un poète, du temps que la Faculté l'avait placé comme externe dans un service de neuro. Et voilà pourquoi ce sont des signes neurologiques qui sont décrits avec une précision étonnante dans "Les petites vieilles".
Dr Béru, qui a bon fond, recommande à tous les khâgneux la lecture du Peintre de la vie moderne, une mine inépuisable de citations et la garantie d'une dissert de français de qualité.
Qu'est-ce que le peintre de la vie moderne ? Le flâneur qui se mêle au mouvement de la cité, l'observateur, l'homme des foules ; celui dont la perception aiguë lui permet de saisir dans la ville l'aliment de sa propre création. Celui qui saura ensuite, le soir, à la lumière de la lampe électrique, recomposer le réel en une œuvre d'art.
Ce double mouvement d'observation puis de mise en forme, c'est aussi celui du clinicien. L'examen clinique repose avant tout sur l'acuité de la perception du médecin. C'est particulièrement vrai en neurologie, où les signes cliniques sont à la fois nombreux, variés et subtils : mouvements (chorée, ballisme ou athétose ?), muscles (myokymies ou fasciculations ?), démarche... L'œil prime. Il s'agira ensuite de réunir les signes relevés à l'examen, c'est-à-dire les symptômes physiques, en syndrome. Et comme la réalité colle rarement parfaitement au collège des enseignants de neurologie, va falloir faire preuve d'un minimum de créativité à ce moment-là. Voilà pourquoi Dr Béru se prenait pour un poète, du temps que la Faculté l'avait placé comme externe dans un service de neuro. Et voilà pourquoi ce sont des signes neurologiques qui sont décrits avec une précision étonnante dans "Les petites vieilles".
Dr Béru, qui a bon fond, recommande à tous les khâgneux la lecture du Peintre de la vie moderne, une mine inépuisable de citations et la garantie d'une dissert de français de qualité.
mardi 1 avril 2014
Tout pareils à des marionnettes, ou les mouvements anormaux
Les petites vieilles, dans les plis sinueux de l'APHP, Dr Béru en croise un paquet. Certaines pliées en deux, d'autres trottant à pas pressés après leur ombre, d'autres encore possédées par le démon du rythme -- le fandango permanent, manque plus que les castagnettes.
Baudelaire avait déjà relevé ces trois phénomènes. Le premier se nomme camptocormie ; il est dû à l'involution graisseuse des muscles paravertébraux et touche effectivement plutôt les femmes.
Le deuxième, c'est la démarche festinante, retrouvée dans la maladie de Parkinson, qui associe une fréquence augmentée à une longueur de pas diminuée. Hâte-toi lentement, en quelque sorte.
Le troisième, celui que Baudelaire décrit de la façon la plus frappante, ce sont les mouvements anormaux. Les plus fréquents de ces mouvements sont les tremblements (tremblement essentiel, tremblement d'intention cérébelleux, tremblement de repos de la maladie de Parkinson, par exemple). Mais les "pauvres sonnettes" semblent plutôt atteintes ici d'une véritable chorée. Le mouvement choréique, c'est un mouvement involontaire spontané, survenant aléatoirement, brusquement, anarchiquement, y compris la nuit. Il est présent par exemple dans la maladie de Huntington, une vraie saleté.
Et quand Dr Béru voit une patiente se coincer les jambes derrière les pieds de sa chaise pour s'empêcher de danser, lui aussi se met à trembler.
Dr Béru, qui a bon fond, te recommande de rassurer ta grand-mère qui arrose ta braguette en te servant ton café : il s'agit bien plus probablement d'un tremblement essentiel que d'une maladie de Parkinson.
Baudelaire avait déjà relevé ces trois phénomènes. Le premier se nomme camptocormie ; il est dû à l'involution graisseuse des muscles paravertébraux et touche effectivement plutôt les femmes.
Le deuxième, c'est la démarche festinante, retrouvée dans la maladie de Parkinson, qui associe une fréquence augmentée à une longueur de pas diminuée. Hâte-toi lentement, en quelque sorte.
Le troisième, celui que Baudelaire décrit de la façon la plus frappante, ce sont les mouvements anormaux. Les plus fréquents de ces mouvements sont les tremblements (tremblement essentiel, tremblement d'intention cérébelleux, tremblement de repos de la maladie de Parkinson, par exemple). Mais les "pauvres sonnettes" semblent plutôt atteintes ici d'une véritable chorée. Le mouvement choréique, c'est un mouvement involontaire spontané, survenant aléatoirement, brusquement, anarchiquement, y compris la nuit. Il est présent par exemple dans la maladie de Huntington, une vraie saleté.
Et quand Dr Béru voit une patiente se coincer les jambes derrière les pieds de sa chaise pour s'empêcher de danser, lui aussi se met à trembler.
Dr Béru, qui a bon fond, te recommande de rassurer ta grand-mère qui arrose ta braguette en te servant ton café : il s'agit bien plus probablement d'un tremblement essentiel que d'une maladie de Parkinson.
mardi 25 mars 2014
Le souvenir cuisant de son limon amer, ou poétisons le RGO
Dr Béru ne compte plus les patients souffrant de reflux gastro-œsophagien. (En vrai, le RGO, c'est le cadet des soucis des patients cirrhotiques. Mais imaginons que Dr Béru fréquente un cabinet de ville et non un CHU.) Bref. Le RGO, tout le monde connaît. Ça brûle, là, derrière le sternum, en remontant. Parfois, un goût déplaisant revient jusque dans l'arrière-gorge – le contraire d'un goût de revenez-y, pourtant.
Pour faire savant, Dr Béru appellera ces deux symptômes quasi pathognomoniques du RGO "pyrosis" et "régurgitation".
Pour faire beau, Dr Béru invoquera Baudelaire et retrouvera, sur sa lèvre morose, le souvenir cuisant de son limon amer.
Dr Béru, qui a bon fond, conseille au lecteur de plus de cinquante ans de consulter un médecin et de se faire prescrire une endoscopie en cas de reflux gastro-œsophagien. Ce serait con de laisser un endobrachyœsophage sans surveillance, pas vrai ?
Pour faire savant, Dr Béru appellera ces deux symptômes quasi pathognomoniques du RGO "pyrosis" et "régurgitation".
Pour faire beau, Dr Béru invoquera Baudelaire et retrouvera, sur sa lèvre morose, le souvenir cuisant de son limon amer.
Dr Béru, qui a bon fond, conseille au lecteur de plus de cinquante ans de consulter un médecin et de se faire prescrire une endoscopie en cas de reflux gastro-œsophagien. Ce serait con de laisser un endobrachyœsophage sans surveillance, pas vrai ?
dimanche 23 mars 2014
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte
Quand il frayait avec des neurologues, Dr Béru aimait bien regarder les patients du service. Spectacle incroyablement varié, toujours renouvelé !
La démarche, tiens, par exemple.
Celui-ci est obligé d'esquisser un rond de jambe pour pousser en avant son membre raidi par l'AVC – démarche dite "en fauchant", spastique.
Celui-là se dandine, faiblesse musculaire des ceintures signant la myopathie.
Un autre marche en étoile, comme s'il avait bu : c'est le cervelet qui a trinqué.
Un autre encore lève haut le genou, seul moyen d'éviter que le pied, incapable de se fléchir sur la cheville, ne vienne accrocher le sol. Déficit des muscles releveurs du pied, probable atteinte du sciatique poplité externe, maladie périphérique.
Dr Béru, alors, se rappelle "Le goût du néant" et attend l'avalanche, qui viendra bien assez tôt pour les patients comme pour lui.
Dr Béru, qui a bon fond, te rappelle de composer le 15 fissa devant toute suspicion d'AVC (la bouche qui tombe, ou un membre inerte, ou une altération du langage).
La démarche, tiens, par exemple.
Celui-ci est obligé d'esquisser un rond de jambe pour pousser en avant son membre raidi par l'AVC – démarche dite "en fauchant", spastique.
Celui-là se dandine, faiblesse musculaire des ceintures signant la myopathie.
Un autre marche en étoile, comme s'il avait bu : c'est le cervelet qui a trinqué.
Un autre encore lève haut le genou, seul moyen d'éviter que le pied, incapable de se fléchir sur la cheville, ne vienne accrocher le sol. Déficit des muscles releveurs du pied, probable atteinte du sciatique poplité externe, maladie périphérique.
Dr Béru, alors, se rappelle "Le goût du néant" et attend l'avalanche, qui viendra bien assez tôt pour les patients comme pour lui.
Dr Béru, qui a bon fond, te rappelle de composer le 15 fissa devant toute suspicion d'AVC (la bouche qui tombe, ou un membre inerte, ou une altération du langage).
samedi 22 mars 2014
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure, ou l'hémorragie cachée
Dr Béru fréquente depuis quelque temps un service d'hépatologie où les patients ont la fâcheuse habitude de perdre deux points d'hémoglobine en moins de temps qu'il ne t'en faut pour pisser. Le plus souvent, ça sort par le haut (ce qu'on appelle hématémèse, ou sang extériorisé par la bouche à l'occasion d'efforts de vomissements), et c'est dû à un ulcère qui saigne, une rupture de varice œsophagienne, une œsophagite... Ou par le bas, c'est-à-dire du méléna (du sang noir digéré dans les selles, qui sont alors poisseuses comme du goudron et dégagent une odeur unique en son genre).
Mais parfois, l'hémoglobine baisse sans que l'on trouve l'origine du saignement. Dans ces cas-là, Dr Béru se rappelle "La fontaine de sang".
Baudelaire était-il cirrhotique ?
Dr Béru, qui a bon fond, t'engage par la même occasion à aller donner ton sang, ton plasma ou tes plaquettes à l'officine EFS de ton choix.
Avant-propos
La compresse, c'est pour que tu me la remouilles, ami lecteur.
Et la plume, tu sais où te la carrer.
En d'autres termes, sois le bienvenu sur ces pages où se mêleront intimement médecine et littérature, lavements et logorrhée, Céline et Charcot -- mais où, selon toute probabilité, Jean-Christophe Rufin n'occupera qu'une place très modeste.
Et la plume, tu sais où te la carrer.
En d'autres termes, sois le bienvenu sur ces pages où se mêleront intimement médecine et littérature, lavements et logorrhée, Céline et Charcot -- mais où, selon toute probabilité, Jean-Christophe Rufin n'occupera qu'une place très modeste.
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