jeudi 10 juillet 2014

Le cerveau a horreur du vide, ou tous romanciers

Une expérience de neuropsychologie menée par Michael Gazzaniga en 1977 et désormais classique ne laisse pas d'intriguer dr Béru.

Voici de quoi il retourne.

Prends un patient callosotomisé* ; projette-lui sur un écran pendant quelques millisecondes, dans la partie gauche de son champ visuel, l'ordre de marcher. Cet ordre sera perçu par les régions visuelles de son hémisphère droit, privé d'accès au langage (les aires consacrées au langage se situent dans l'hémisphère gauche chez la grande majorité des gens) ; le patient sera parfaitement capable d'élaborer un comportement adapté, c'est-à-dire de se lever de sa chaise et de commencer à marcher, mais il ne pourra pas formuler consciemment qu'il est en train d'obéir à un ordre lu sur un écran.

Jusque là, simple démonstration de la spécialisation des hémisphères. Mais là où les choses se corsent, c'est quand Gazzaniga demande à son patient pourquoi il vient de se lever. "J'ai soif, je vais chercher à boire", lui répond du tac au tac le callosotomisé. Voilà l'hémisphère gauche pris en flagrant délit d'interprétation, d'affabulation, de création fictionnelle ! Plutôt que d'avouer notre ignorance du réel qui nous entoure comme du motif de nos actes, nous inventons sans même en avoir conscience des histoires qui accordent le monde à nos perceptions et à nos comportements, et donnent forme et sens à notre existence.

Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir ; nous tous bâtissons des romans à longueur de journée. Cette capacité fictionnelle cimente, unifie notre conscience, lui donne une constance dans le temps ; grâce à elle, la myriade de sensations éprouvées, d'actes perpétrés se précipite en une existence susceptible d'être racontée -- et par là même, réelle.


Dr Béru, qui a bon fond, t'engage instamment à lire Le Nouvel Inconscient, de Lionel Naccache.






* La callosotomie consiste à sectionner le corps calleux, la zone du cerveau qui unit les deux hémisphères ; cette opération se pratique chez certains épileptiques résistants au traitement médicamenteux, afin d'isoler le foyer épileptogène.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire