Allô ? Voix chaleureuse. Mais non, vous ne me dérangez pas du tout... Oui, je comprends très bien... C'est normal au début... C'est une très bonne chose que vous m'en parliez... Vous avez beaucoup de courage... On se voit mercredi... N'hésitez pas à m'appeler pour me tenir au courant d'ici là... Raccroche. Voix normale. Oh putain*.
Ah, le fieffé hypocrite ! serait-on tenté de penser. Hypocrite peut-être, mais au sens étymologique, celui d'acteur. Or le seul acteur qui vaille, si l'on en croit Diderot et son Paradoxe sur le comédien, n'est-ce pas l'acteur de tête, par opposition à l'acteur de sensibilité ? Le premier sait jouer tous les caractères, imiter toutes les émotions, avec constance et régularité. Le second, s'il est en phase avec son rôle, s'il ressent intensément les sentiments qu'il doit représenter sur scène, pourra peut-être être sublime. Mais il le sera bien involontairement, et par l'effet d'un heureux hasard.
Le médecin, tout comme l'acteur, n'est pas censé vivre son rôle, mais le jouer. Imagine un médecin qui ait besoin de ressentir de la compassion pour en faire preuve : non seulement il serait lessivé bien avant la fin de la matinée, mais il y a fort à parier qu'il traiterait différemment ses patients. Entre une charmante jeune femme éduquée, manifestement élevée dans le même milieu que toi, et une vieille clocharde qui pue et qui t'insulte, pour qui est-il plus facile de ressentir de la compassion, à ton avis ? Si tu n'éprouves rien pour personne mais que tu t'intéresses à chacun et fais systématiquement montre de sentiments compassionnels, là tu as une chance de garantir l'égalité des soins.
Voilà pourquoi il faudrait s'appliquer à regarder, à reconnaître et à imiter, comme dit Diderot, mais non pas à sentir. Ce qui est plus facile à dire qu'à faire.
*Authentique conversation entendue à l'AP-HP, aimablement rapportée par l'unique lectrice de ces pages -- unique lectrice à ne pas être rémunérée par les services spéciaux moldaves, s'entend.
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