samedi 12 avril 2014

Clysterium donare, postea seignare, ensuitta purgare, ou la vérité sur le latin médical

Quand Dr Béru subit le feu roulant des questions d'un farouche examinateur gastro-entérologue de son état, ce ne sont hélas pas les dernières recommandations de la HAS qui lui reviennent, mais la fin du Malade imaginaire. "Clysterium donare, postea seignare, ensuitta purgare", répond invariablement Argan aux questions des docteurs qui s'apprêtent à l'introniser médecin*.

Molière ne cesse de moquer cette manie des médecins de fourrer du latin partout : du "lucindus, lucinda, lucindum" du Médecin malgré lui au "ignorantus, ignoranta, ignorantum" de Toinette dans Le Malade imaginaire, une petite déclinaison de derrière les fagots suffit pour asseoir sa qualité de médecin. Argan, à qui l'on vient de suggérer de se faire lui-même médecin, objecte faiblement : "Mais il faut bien parler latin, connaître les maladies, et les remèdes qu'il y faut faire." Baragouiner un galimatias latinoïde suffira, lui répondent fort justement son frère et sa servante.

Ce qui était vrai au xviie l'est encore aujourd'hui : on prescrit larga manu des médicaments à prendre per os, on se casse la fibula et l'acetabulum, on redoute un volvulus, un infarctus ou un ictus...  Curieusement, Dr Béru a l'impression que ce latin-là vient parfois de l'anglais (c'est net pour fibula et acetabulum, qui remplacent péroné et cotyle dans la nouvelle nomenclature anatomique tout droit importée des pays anglo-saxons). L'anglais est d'ailleurs en passe de détrôner le latin : on guette le wash out des nodules hépatiques, on recherche du sludge dans la vésicule biliaire et on s'inquiète d'un crazy paving sur un scan thoracique.

Survivance d'un temps où la médecine était enseignée en latin ? Influence des articles anglophones que l'on ne se donne plus la peine de traduire ? Désir de gagner du temps en évitant les périphrases françaises (le latin et l'anglais sont effectivement des langues plus resserrées) ? Sans doute. Mais Dr Béru craint qu'il s'agisse avant tout, comme au temps de Molière, d'employer le jargon le plus obscur pour garder la haute main sur le patient. Bref, le latin et l'anglais comme instruments de domination. 


Dr Béru, qui a bon fond, te conseille un petit recueil de chroniques d'Omicron, alias Loïc Capron, consacrées au lexique de la médecine. Ça s'appelle Mots et maux, et c'est publié aux éditions Jean-Baptiste Baillière.


* Trois principes thérapeutiques toujours en vigueur, soit dit en passant : les lavements de laxatifs osmotiques s'administrent en cas d'encéphalopathie hépatique, on soigne l'hémochromatose à grands coups de saignées, et une bonne purge reste indispensable avant toute coloscopie.

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