samedi 28 juin 2014

Paradoxe sur le médecin

Allô ? Voix chaleureuse. Mais non, vous ne me dérangez pas du tout... Oui, je comprends très bien... C'est normal au début...  C'est une très bonne chose que vous m'en parliez... Vous avez beaucoup de courage... On se voit mercredi... N'hésitez pas à m'appeler pour me tenir au courant d'ici là... Raccroche. Voix normale. Oh putain*.

Ah, le fieffé hypocrite ! serait-on tenté de penser. Hypocrite peut-être, mais au sens étymologique, celui d'acteur. Or le seul acteur qui vaille, si l'on en croit Diderot et son Paradoxe sur le comédien, n'est-ce pas l'acteur de tête, par opposition à l'acteur de sensibilité ? Le premier sait jouer tous les caractères, imiter toutes les émotions, avec constance et régularité. Le second, s'il est en phase avec son rôle, s'il ressent intensément les sentiments qu'il doit représenter sur scène, pourra peut-être être sublime. Mais il le sera bien involontairement, et par l'effet d'un heureux hasard.

Le médecin, tout comme l'acteur, n'est pas censé vivre son rôle, mais le jouer. Imagine un médecin qui ait besoin de ressentir de la compassion pour en faire preuve : non seulement il serait lessivé bien avant la fin de la matinée, mais il y a fort à parier qu'il traiterait différemment ses patients. Entre une charmante jeune femme éduquée, manifestement élevée dans le même milieu que toi, et une vieille clocharde qui pue et qui t'insulte, pour qui est-il plus facile de ressentir de la compassion, à ton avis ? Si tu n'éprouves rien pour personne mais que tu t'intéresses à chacun et fais systématiquement montre de sentiments compassionnels, là tu as une chance de garantir l'égalité des soins.

Voilà pourquoi il faudrait s'appliquer à regarder, à reconnaître et à imiter, comme dit Diderot, mais non pas à sentir. Ce qui est plus facile à dire qu'à faire.


*Authentique conversation entendue à l'AP-HP, aimablement rapportée par l'unique lectrice de ces pages -- unique lectrice à ne pas être rémunérée par les services spéciaux moldaves, s'entend.

mercredi 11 juin 2014

La réponse qui sauve à la question qui tue

Pourquoi as-tu décidé de commencer des études de médecine ? demande-t-on régulièrement au Dr Béru (le "à ton âge avancé" est obligeamment sous-entendu). Peut-être bien que Dr Béru n'en a foutrement aucune idée. Mais ce n'est pas là la réponse souhaitée par les internes / CCA / PH qui posent la question qui tue. Ce qu'ils veulent entendre, tous autant qu'ils sont, c'est qu'ils exercent le plus beau métier du monde, qu'ils sont du bon côté, qu'ils ont fait le bon choix ; ce qu'ils attendent, c'est la validation de leur existence par un regard extérieur.

Alors Dr Béru s'exécute. Il sort le grand jeu, c'est-à-dire L'Hôpital, à la vie à la mort, un livre d'aquarelles et de témoignages de Noëlle Herrenschmidt publié chez Gallimard en 2003.

Noëlle Herrenschmidt, tu la connais : c'est elle qui illustrait les "David et Marion" des Belles histoires de ta prime jeunesse. Elle qui couvrait les grands procès pour Le Monde, elle encore qui a publié des carnets de prison. Au début des années 2000, la reporter-illustratrice a passé du temps dans les hôpitaux de l'AP-HP, à la rencontre des patients et des travailleurs, soignants ou non. Elle a donné la parole à chacun, et un visage aussi : chaque témoignage, livré brut, est accompagné d'un portait à l'aquarelle, le plus souvent en action. Les chirurgiens bricolent, les IBODE fourbissent leurs armes, les cadres infirmiers font la loi, les aides-soignants poussent interminablement des chariots surchargés. Les patients patientent.

Ce qui frappe dans cet ouvrage, c'est le passage du temps, inscrit dans les décors (certains sites sont ultra vétustes, d'autres ultra modernes ; on visite Laënnec, fermé depuis), dans les changements de la pratique quotidienne (de nombreux salariés se plaignent d'une dégradation des conditions de travail par rapport à leurs débuts dans la profession), dans la répétition des journées pour les patients hospitalisés. Parties de cartes chez les adolescents, mots fléchés et télé pour les vieux. Le temps, surtout, se lit dans la structure de l'ouvrage, organisé selon les âges de la vie. On progresse ainsi de la réa néonatale jusqu'à la toilette des morts, en passant par la chir cardiaque pédiatrique, la nutrition  pour adolescents, les soins de suite, la gériatrie : voyage dans l'AP-HP, voyage dans une existence.

De là à confondre l'hôpital et la vie, il n'y avait qu'un pas que Dr Béru a étourdiment franchi. Le voilà bloqué de l'autre côté du miroir. L'hôpital, à la vie à la mort : la réponse qui sauve à la question qui tue, peut-être.



lundi 2 juin 2014

Finie la polémique sur le genre !

Aujourd'hui, Dr Béru décide de rétablir l'ordre naturel en mettant un terme définitif à la confusion des genres ; halte à la permissivité, au laisser-aller, à la chienlit linguistique !

S'il est bien une question sur laquelle Dr Béru ne transige pas, c'est celle du genre des noms. Les noms en -icule, en particulier.

Pannicule, vésicule*, fébricule, pellicule, pédicule... Tous ont en commun d'être... Masculins ? Féminins ? Non. C'est un poil plus compliqué, mais pas beaucoup. Le suffixe diminutif -icule était déjà utilisé en latin : -icula pour les noms féminins, -iculus pour les masculins, -iculum au neutre. Facile de repérer le genre. Mais en français, avec l'accent tonique placé sur l'avant-dernière syllabe (sur le cul, donc), la dernière syllabe a été avalée, devenant indifférenciée. Pour retrouver le genre du nom en -icule qui te tracasse, Dr Béru te donne un truc : passe par le genre du mot d'origine. Vessie est féminin, vésicule est féminin aussi. Pied est masculin, pédicule aussi. Peau est féminin, pellicule aussi. Pan est masculin, pannicule aussi. Fièvre, féminin...

Bref, c'est aujourd'hui que tu cesses définitivement de dire "un fébricule".


* En ces temps de fête des paires, faites plaisir avec un bouquet de vésicules