lundi 28 juillet 2014

Du bois dont on fait ce que tu sais

Dans le billet précédent, dr Béru évoquait l'artère sylvienne, l'autre nom de l'artère cérébrale moyenne. Cette curieuse dénomination forestière vient de Jacques Dubois ("Sylvius", en latin), grammairien et médecin du XVIe siècle.

Quelques mots sur ce personnage, qui illustre bien les déchirements de la Renaissance, entre héritage de l'Antiquité et découvertes des nouveaux anatomistes.

Sa double formation de linguiste et de médecin conduit Sylvius à développer considérablement le vocabulaire de la médecine : on lui doit tout un tas de néologismes forgés sur des racines grecques et latines, notamment les termes de mésentère et de poplité. Mais son goût pour les belles lettres l'amène surtout à vouer un culte aux écrits d'Hippocrate et de Galien. Dès lors, Sylvius ne peut approuver les travaux d'anatomie de son élève Vésale, qui remettent en cause les grands anciens. Sylvius se range donc du côté des traditionalistes dans cette querelle des Anciens et des Modernes. C'est à Padoue, et non à Paris, qu'ont alors lieu les grandes explorations anatomiques qui serviront de base aux découvertes physiologiques qui fondent la médecine moderne.

Le nom même de Sylvius l'ancre du côté de la médecine en latin, respectueuse des enseignements de Galien et opposée à toute expérimentation : à l'avenir dr Béru aimerait être moins Sylvius et plus Dubois -- dont on fait tu sais quoi.




mercredi 23 juillet 2014

Info trafic : risque d'emboles sur la circulation cérébrale

En cette période de grands départs, intéressons-nous donc aux bouchons.

L'équivalent naturel du tunnel de Fourvière, c'est la terminaison de l'artère carotide interne et le début de l'artère cérébrale moyenne : ça se rétrécit, ça ralentit et ça finit par coincer. Pour peu qu'un embole se balade, c'est l'AVC ischémique sylvien, et les vacances s'annoncent plutôt mal.

1. Carotide interne
2. Siphon carotidien 
3. Artère cérébrale moyenne

Copyright dr Alami

Un embole : d'où vient ce drôle de mot, qui est bien masculin et s'écrit avec un e à la fin ? Comme toujours, dr Béru se tourne vers le Trésor de la langue française, qui a réponse à tout : embole vient du grec embolos, le piston d'une pompe. De même qu'un piston s'ajuste exactement au calibre interne de la pompe, de même l'embole obstrue la lumière artérielle.

Pour éviter l'embolie, mieux vaut donc continuer de pomper.



jeudi 10 juillet 2014

Le cerveau a horreur du vide, ou tous romanciers

Une expérience de neuropsychologie menée par Michael Gazzaniga en 1977 et désormais classique ne laisse pas d'intriguer dr Béru.

Voici de quoi il retourne.

Prends un patient callosotomisé* ; projette-lui sur un écran pendant quelques millisecondes, dans la partie gauche de son champ visuel, l'ordre de marcher. Cet ordre sera perçu par les régions visuelles de son hémisphère droit, privé d'accès au langage (les aires consacrées au langage se situent dans l'hémisphère gauche chez la grande majorité des gens) ; le patient sera parfaitement capable d'élaborer un comportement adapté, c'est-à-dire de se lever de sa chaise et de commencer à marcher, mais il ne pourra pas formuler consciemment qu'il est en train d'obéir à un ordre lu sur un écran.

Jusque là, simple démonstration de la spécialisation des hémisphères. Mais là où les choses se corsent, c'est quand Gazzaniga demande à son patient pourquoi il vient de se lever. "J'ai soif, je vais chercher à boire", lui répond du tac au tac le callosotomisé. Voilà l'hémisphère gauche pris en flagrant délit d'interprétation, d'affabulation, de création fictionnelle ! Plutôt que d'avouer notre ignorance du réel qui nous entoure comme du motif de nos actes, nous inventons sans même en avoir conscience des histoires qui accordent le monde à nos perceptions et à nos comportements, et donnent forme et sens à notre existence.

Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir ; nous tous bâtissons des romans à longueur de journée. Cette capacité fictionnelle cimente, unifie notre conscience, lui donne une constance dans le temps ; grâce à elle, la myriade de sensations éprouvées, d'actes perpétrés se précipite en une existence susceptible d'être racontée -- et par là même, réelle.


Dr Béru, qui a bon fond, t'engage instamment à lire Le Nouvel Inconscient, de Lionel Naccache.






* La callosotomie consiste à sectionner le corps calleux, la zone du cerveau qui unit les deux hémisphères ; cette opération se pratique chez certains épileptiques résistants au traitement médicamenteux, afin d'isoler le foyer épileptogène.