samedi 20 septembre 2014

Boris Razon, nu dans la crevasse

Boris Razon n'est peut-être pas un écrivain -- mais il a une histoire ahurissante à raconter.

En juin 2005, le jeune homme (29 ans à l'époque) entame une terrifiante descente vers les profondeurs du corps : en quelques jours, une polyradiculonévrite foudroyante le laisse entièrement paralysé. Hospitalisé en réanimation neurologique, intubé, sondé, monitoré, il n'est plus rattaché à l'existence que par le tuyau du respirateur. Totalement exposé, vulnérable. Nu dans la crevasse.

Entre les bruits d'alarmes suraigus, les lampes braquées dans les yeux, les MONTREZ-MOI QUE VOUS M'ENTENDEZ MONSIEUR à réveiller un mort, il a tôt fait de perdre le nord. La longue théorie des soignants, tous vêtus du même pyjama bleu, l'entraîne dans une ronde cauchemardesque où le jour et la nuit se dissolvent. Razon bascule dans un monde de légende, un monde de voyages, de batailles épiques et de combats singuliers.

L'état hallucinatoire dont Razon est victime a un nom : le délirium (anciennement "psychose de réanimation"). Il toucherait plus de 80 % des patients de réa. Et d'après ce que Razon en dit, ce n'est pas une partie de plaisir. La douleur, le manque de sommeil, l'angoisse extrêmes précipitent en une agitation hallucinée, où le délire se teinte de persécution. Pour décrire un tel état, il faudrait un styliste d'une autre trempe que Razon : faute de réussir à rendre littérairement cette expérience, Palladium devient parfois aussi ennuyeux qu'un récit de rêve ou qu'une séance de photos de vacances. On écoute poliment, mais on reste étranger. Hors délire, certaines scènes frappent tout de même par l'intensité de leur sujet : le moment où Razon croise son image dans l'ascenseur lors de sa première sortie sans d'abord se reconnaître, par exemple.

Cette expérience d'enfermement halluciné dans un corps inerte méritait d'être racontée, même imparfaitement. Surtout, pour les soignants, Palladium rappelle à propos la torture de l'angoisse absolue, indicible, qui tord les patients de réa. À ce titre, sa lecture n'est pas inutile.


Dr Béru, toujours de bon conseil, te recommande d'écouter avant tout le chef-d'œuvre halluciné de Jean-Louis Murat qui donne son titre à ce billet.


Ajout du 21 mai 2017 : il semblerait que le Guillain Barré soit particulièrement pourvoyeur de ces étranges rêves et déformations du réel (via la dysautonomie et la désorganisation de l'architecture du sommeil dont ce syndrome peut s'accompagner). Une étude de la Pitié-Salpêtrière (où Razon fut pris en charge) va en tout cas dans ce sens.